Voies romaines en Savoie

Introduction


Des différents chemins de montagne qui font communiquer l'Italie avec la Gaule transalpine et septentrionale, c'est celui du pays des Salasses qui mène à Lugdunum. Ce chemin, avons-nous dit, a deux branches, l'une qui peut être parcourue en chariot, mais qui est de beaucoup la plus longue (c'est celle qui traverse le territoire des Ceutrones), l'autre qui franchit le mont Poeninus et raccourcit ainsi la distance, mais qui n'offre partout qu'un sentier étroit et à pic (1).

Belle introduction, que l'on doit à Strabon, rédigé en 18 apr. J.-C. Les voies romaines ont passionnées des générations d'historiens et d'archéologues. Quel autre sujet depuis plusieurs siècles n'est autant controversé ? Cela est dû en partie par la découverte de la Table de Peutinger (2) et des multiples questions et contradictions qu'elle génère. Ces problèmes sont le résultat des trop rares découvertes pouvant confirmées les indications de la carte. Et certains ont émis des conclusions un peu trop hâtives déduites de ces maigres indices. Je vais essayer de vous aider à y voir un peu plus clair.

Les itinéraires protohistoriques en Savoie

Il faut avant toute chose mentionné que les voies romaines n'ont pas été ouvertes sur des itinéraires vierges ou que leurs orientations aient été décidées arbitrairement par les ingénieurs romains. Ils se sont servis des chemins existants qu'ils ont corrigés et améliorés.

Les découvertes archéologiques faites en Savoie démontrent que des relations commerciales existaient entre l'Italie du nord et la Gaule. Les Allobroges et les Ceutrones étaient en relations, de même qu'avec nombres d'autres cités et peuples.  Ces vieux itinéraires datent au moins de l'époque celtique sinon antérieure. La voie qui reliait Vienne à Aoste fait partie de ces itinéraires anciens auxquels les nouveaux aménagements romains en feront une voie de communication importante.

L'Empire romain à l'aube de notre ère

L'Empire romain succède à la République romaine vieille de 500 ans (509 av. J.-C. – 27 av. J.-C.) affaiblie par la guerre civile. L'accession au pouvoir d'Octave, après sa participation au second triumvirat et sa victoire sur Marc Antoine à la bataille navale d'Actium en septembre 31 av. J.-C., lui permet d'être seul détenteur du pouvoir. En 28 av. J.-C., le sénat lui confère le titre de Princeps senatus, « le premier du sénat », ce qui signifie qu'il est le premier à prendre la parole devant l'assemblée. L'année suivante, le sénat lui donne même le titre d'Augustus, qui signifie « sacré ». Nous sommes en 27 av. J.-C. et Octave devient alors le premier empereur romain.

Ceutrones, Medulli et Allobroges

Grâce aux textes antiques on peut localiser assez précisément les différents peuples qui se trouvaient un Savoie (3). Les Ceutrones et les Medulli étaient établit de chaque coté des Alpes, d'origine ligure, ils se sont métissés lors des migrations celtes. Les péages aux cols parsemant les crêtes alpines qu'ils contrôlent, l'exploitation des mines de cuivre, d'argent, de sel et l'élevage leurs assurent richesse et commodités. Les Allobroges d'origine celte sont mentionnés pour la première fois en 218 av. J.-C. pour leur opposition à Hannibal (4). Peuple puissant, le territoire des Allobroges occupait la quasi-totalité des départements de l'Isère et de la Haute-Savoie, ainsi qu'une partie du canton de Genève et des départements de la Savoie, de l'Ain, du Rhône, de la Loire, de l'Ardèche et de la Drôme, bref à tout l'espace compris entre le Rhône, l'Isère et les Alpes (5).

La conquête romaine

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La région de la Savoie n'était pas dans l'antiquité une entité politique unique. Elle était constituée de divers peuples d'origine celtique et ligure. La conquête romaine de cette région commença en 125 av. J.-C. L'occasion fût l'appel de la cité de Marseille qui était sous la menace du peuple Salyen. Mais il y a deux véritables causes de cette ingérence dans les affaires gauloise. La première concerne la puissance de l'empire Arverne (6) dont les Allobroges et les Voconces sont les alliés et qui commence à inquiété Rome. La seconde est le besoin d'assurer une liaison terrestre plus rapide entre l'Italie et l'Espagne qui est sous contrôle romain.
Tout d'abord l'armée romaine franchit les Alpes et bat les Voconces vers la Durance puis fit de même avec les Ligures et les Salyens. Ensuite vint le tour du valeureux peuple des Allobroges. Battu une première fois au confluent du Rhône et de la Sorgue en 121 av. J.-C en laissant plusieurs milliers de morts, ils sont battus une second fois au cours de l'été malgré l'aide des arvernes, par le consul Fabius Maximus laissant plus de 100 000 morts au confluent du Rhône et de l'Isère.

La partie de cette région qui avoisine l'Italie a passé sans de grands efforts sous le joug romain. Son indépendance menacée en premier lieu par Fulvius, puis ébranlée fortement dans une suite de petits combats soutenus contre Sextius, fut tout à fait abattue par Fabius Maximus; avantage que ce dernier n'obtint cependant que par la réduction des Allobroges, nos plus opiniâtres adversaires dans cette lutte, et qui lui valut un surnom. (7).

Il y eu encore bien des soubresauts et des révoltes et ce n'est qu'à partir de 61 av. J.-C. que le peuple allobroge accepta de se soumettre définitivement. Il se dota d'une nouvelle capitale, Vienne et devint la cité la plus étendue de la nouvelle province de Gaule Transalpine.
La conquête des Alpes se fit en deux étapes, la première en 25 av. J.-C par l'occupation du pays des Salasses et la seconde en 15 av. J.-C. par la soumission de tous les peuples des Alpes. Rome jusqu'à présent ne contrôlait pas les cols et les peuples alpins. Déjà durant la guerre des Gaules, César avait eu des difficultés lors de ces traversées des Alpes. Auguste délégua à Agrippa le soin de pacifié cette région.

Enfin Auguste réussit à les réduire complètement (les Salasses) : il les fit alors transporter en masse à Eporedia, et donna ordre qu'on les vendît comme esclaves sur le marché de cette ville, colonie romaine fondée naguère justement pour servir de boulevard contre les incursions des Salasses, mais qui avait eu grande peine à se maintenir, tant que la nation n'avait pas été anéantie. Il y avait en tout 36 000 captifs et dans le nombre 8000 guerriers valides. Terentius Varron, le même général qui les avait vaincus, les vendit tous à l'encan ; puis César ayant fait partir pour ces pays 3000 Romains y fonda la ville d'Augusta sur l'emplacement même du camp de Varron. Aujourd'hui toute la contrée environnante jusqu'aux cols les plus élevés des Alpes se trouve absolument pacifiée.(8)

Cette région est alors partagée en quatre provinces Alpines. Les Alpes Pénnines, les Alpes Graies, les Alpes Cottiennes et les Alpes Maritimes. Ainsi s'achève la conquête du sud-est de la Gaule.
Provinces transalpines au Ier siècle

Les itinéraires

La voie romaine n'avait pas un but commercial, mais militaire. II s'agissait de déplacer rapidement cavaliers et fantassins et de permettre aux chars à deux roues (cursus publicus) de circuler rapidement. Les voies de communications ont souvent eu un rôle catalyseur dans le développement d'agglomération. Ces villes doivent beaucoup de leur prospérité à leur situation le long d'un axe majeur transalpin.

    On doit en effet à César Auguste, outre l'extermination des brigands, la construction de routes aussi bonnes en vérité que le comportait l'état des lieux. Seulement il eût été impossible de forcer partout la nature, (impossible, par exemple, de frayer un passage sûr) entre des rochers à pic et d'effroyables précipices ouverts sous les pieds, abîmes sans fond où l'en tombe infailliblement pour peu qu'on s'écarte du sentier tracé; or, notez qu'en certains endroits la route est tellement étroite qu'elle donne le vertige aux piétons, voire même aux bêtes de somme qui ne la connaissent point, car, pour celles du pays, elles y passent sans broncher et cela avec les plus lourdes charges. (9)

Auguste dès la conquête des Alpes terminée lance la construction des voies traversant les Alpes. Celle qui traverse le pays des Ceutrones par le Petit Saint Bernard, s'appuyant s'en doute sur un tracé plus ancien dû être terminé au tout début du Ier siècle. Améliorant la route traversant le pays des Allobroges, il obtint une transversale reliant Milan à Vienne et débouchant sur le grand couloir de communication qu'est la vallée du Rhône.

Les Sources
Les sources littéraires sont peu nombreuses et reposent principalement sur l'Itinéraire d'Antonin (10) et la Table de Peutinger. Il faut se méfier des itinéraires dont on ne sait combien de siècles ils compilent les informations qui sont soit d'actualité soit dépassé.

Les toponymes
Étraz : voie romaine ou bien seulement grand chemin de communication ?
Ce toponyme sur lequel on a établit le passage de voies romaine n'est pas toujours crédible. Il y a qu'a prendre une carte de l'ign et chercher les formes dialectales (Etraz, Etrat, Estrée, Estraye ...) pour ce rendre compte, que nombre de ces lieux n'ont jamais pu voir de pavés ni de près ni de loin. Ces formes héritées du latin Strata (via), ont pu depuis l'antiquité et jusqu'à la période moderne, susciter des créations toponymiques pour nommer l'établissement de grands chemins de communications. Mais il est vrai que ceux ci dans nos régions recouvrent souvent le tracé d'itinéraires anciens, puisque les voies principales empruntaient, encore tout récemment, des axes immuables imposés par le relief. Il est donc difficile de déterminer si un toponyme du type Etraz se réfère à une authentique voie romaine ou à une voie de communication importante établit au cours du Moyen Age. Seuls des fouilles archéologiques permettront d'apporter davantage de précisions sur ces Etraz, Etrat, Estrée, Estraye.

La voie impériale allant de Vienne à Aoste par la vallée de l'Isère et  du Petit Saint Bernard

Augusta Pretoria (Aoste) était le point de départ de deux voies traversant les Alpes. L'une montant en direction du Grand Saint Bernard (in Summo Pennino) n'est qu'un sentier, l'autre est une voie carrossable allant à l'Est et arrive "in Alpe Graia" (Petit Saint Bernard) puis descend dans la vallée de l'Isère.
En partant d'Aoste la voie suit la vallée de la Doire Baltée. On trouve de nombreux tronçon de l'ancienne voie de plus beaucoup de toponymes rappellent la présence des bornes milliaires. Arrivé à la Thuile (Ariolica) on la suit sous une forme de piste du nom de "Mullattiera" qui remonte au col. Au col on retrouve les infrastructures (mansio, temple ...) qui permettent le bon déroulement du voyage. Grâce à l'architecte Borrel et à ces nombreuses prospections on connaît relativement bien le tracé de la voie. En passant devant la colonne de Joux on quitte le col puis on descend en direction du village de Saint-Germain, on suit le Reclus et on arrive à l'étape de Bergintrum qui pourrait être le quartier du Borgeat à Bourg-Saint-Maurice.
En partant de Bourg l'itinéraire suit en gros la route nationale actuelle. A Aime une mansio servait d'étape puis on continuait en direction de Villette, ou les grands travaux de la fin du XIXème siècle on découvert une partie d'une voie pavée de gros cailloux roulés posés verticalement (11) et on descendait sur Centron pour traverser l'Etroit de Siaix pratiquement au raz de l'eau, des murs de soutènements peuvent encore se voir. De là, la voie ne quittait plus la rive droite de l'Isère et ne traversait cette rivière qu'en aval du confluent avec le Doron.
On retrouve son tracé dans les gorges de Pont Séran après avoir traversé l'Isère sur un pont dont les fondations étaient visibles encore à la fin du XIXème siècle. Une entaille faite à la sortie des gorges la ou la rivière coulais entre deux rocs à pic (le barrage des échelles d'Hannibal n'existait pas) permettais de passer cette nouvelle difficulté. (12)
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Cliquez pour agrandir l'imageA partir de ce point la voie a disparaît sous les alluvions du nant Noir et du Morel et profite du resserrement de la vallée à Notre-Dame-de-Briançon pour repasser rive droite. Mais une autre hypothèse est possible, les cartes du XVIIème siècle montre uniquement une route sur le coté droit entre Moutiers et Aigueblanche et aucune sur la rive gauche.
Ensuite on reste rive droite au plus près du versant jusqu'à la Roche à Cevins que l'on contourne ou que l'on passe plus directement par le hameau du Bornand et on se dirige vers  Obilonna (Saint Didier) dernière mutatio avant la frontière séparant les Alpes Graies de la Cité de Vienne.
Cliquez pour agrandir l'image
Cliquez pour agrandir l'imageUne dernière portion de voie surélevée à la Maladière nous rappelle le tracé de la voie avant d'atteindre Ad Publicanos (Albertville) que l'on atteignait soit en contournant le rocher de Conflans ou en passant sur le dessus du rocher.
Ad Publicanos se trouvait au croisement avec la voie allant à Genève. La longue traversée de la combe de Savoie se faisait à flanc de coteaux. Il ne faut se représenter le sol de la plaine, 7 mètres plus bas que le niveau actuel. Mantala (Albigny) se trouvait à mis chemin de la combe est servait de relais. Puis on rejoignait Lemencum (Chambéry) en passant près de Torméry ou se trouve la seule borne milliaire de Savoie. Le tronçon suivant reste hypothétique. Soit Labisco se trouve aux Echelles, mais il y a la difficulté importante des gorges de Chailles pour rejoindre Augusta (Aoste), ou alors Labisco est placé à Lépin à coté du lac d'Aiguebelette, et la voie passait par le col Saint-Michel et continuait vers Aoste par le passage de la Bridoire.
Ainsi s'achève la traversée de la Savoie.

Itinéraire Aosta-Vienna

Station antique
Distance en miles romain
(Peutinger)
Distance en miles romain
(Antonin)
Conversion en km
(miles romain=1,48km)
Localité actuelle
Distance réelle
Augusta Pretoria Aoste
Arebrigium XXV XXV 37 Pré Saint-Didier 31,1
Ariolica VI 8,9 La Thuile (Arioles) 9,4
In Alpe Graia VI 8,9 col du Petit
Saint- Bernard
9
Bergintrum XII XXIIII 17,8 le Borgeat
(Bourg Saint-Maurice)
18
Axima VIIII 11,2 Aime 12,3
Darantasia X XIX 14,8 Moutiers 14,3
Obilonna (Obilunum) XIII XIII 19,2 La Bathie (Saint-Didier) 20
Ad Publicanos III ? (VI) III ? (VI) 4,4 ? (8,9) Saint-Sigismond
(Albertville)
8,3
Mantala XVI XVI 23,7 Albigny
(St. Pierre d'Albigny)
24,5
Leminco (Lemincum) XVI XVI 23,7 Lémenc (Chambéry) 24,5
Laviscone (Labiscone) XIIII XIIII 20,7 Les Échelles 22
Augustum XIIII XIIII 20,7 Aoste 21,1
Bergusium (Bergusia) XVI XVI 23,7 Bourgoin 24,3
Vigenna (Vienna) XXI XX 31 ou 29,6 Vienne 32,1

La voie secondaire de Genève au Petit Saint Bernard en passant pas Ad Publicanos (Albertville)

Comme nous l'avons vu plus haut Ad Publicanos est un carrefour de voies. La basse vallée de l'Arly marécageuse était d'éviter en passant par Pallud puis en descendant sur Marthod au niveau d'Ugine on traversait la Chaise puis restant collé au bas des coteaux nord on se dirigeait vers Casuaria (Viuz), station d'étape. Puis passant par Doussard et St Jorioz rejoignait Boutae (Annecy). Et enfin arrivait à Genève.

Itinéraire Darantasia-Genava

Station antique
Distance en miles romain
(Antonin)
Conversion en km
(miles romain=1,48km)
Localité actuelle
Distance réelle
Darantasia
Moutiers
Ad Publicanos
(oubli)
XVIIII  28,1 Saint-Sigismond
(Albertville)
28,3
Casuaria
Viuz
Boutae
XXX 44,4 Annecy 43,6
Genava
XXV 37 Genève 37,5

Les infrastructures.

Entretien du système routier
Les peuples indigènes devaient entretenir les voies, fournir guides et animaux de bât.

En 184, inscription pour des travaux de réparations trouvée à Gilly/Isère.
Pour le salut et la sauvegarde et la victoire de l'empereur César Marcus Aurelius Commode Antoninus Auguste, Pieux, vainqueur des Sarmates, très grand vainqueur des Germains, vainqueur des Bretons, ... (emportés) par la violence du fleuve ...après avoir détourné les eaux et les avoir ramenées dans leur lit... (13)
Il s'agit de commémorer des réparations importantes dû aux débordements des rivières. A cet endroit les coupables ne manquent pas, l'Isère, l'Arly, le Chiriac…

En 162 ou 163, inscription découverte à Bourg St. Maurice.
L'empereur César Marc Aurèle Auguste, ans sa dix-septième puissance tribunitienne, consul trois fois, grand pontife, père de la patrie et l'empereur César Lucius Aurelius Verus Auguste, dans sa troisième puissance tribunitienne, consul deux fois, ont restaurés, à leurs frais, les routes qui traversent le territoire des Ceutrones et qui avaient été emportées par la violence des torrents, après avoir repoussé les cours d'eau et les avoir ramenés dans leur lit naturel en leur opposant des digues en de nombreux endroits ; de même (ils ont restauré) les ponts (?), les temples et les bains. (14)
Les travaux de restauration sont directement financés par l'empereur pour réparer les dégâts de l'Isère dans toute la vallée.

Constitution
La chaussée composée de larges pierres plates, de galets ou d'une couche de gravier, formant la summa crusta, reposant sur un lit de pierres, le statumen, mode de construction romain. Les romains établissaient des chaussées, dans les campagnes surtout avec les matériaux qu'ils avaient sous la main; c'est pour cela qu'ils employaient, pour former la summa crusta, tantôt de larges pierres plates, tantôt de simples pavés bruts de forme ovoïdes et la ou la pierre manquait, ils se contentaient de répandre dans l'encaissement de la voie, le gremium, les pierrailles qu'ils comprimaient fortement. (15)

On s'est laissé hypnotiser,  par la recherche du pavé et de l'infrastructure classique de la chaussée. Or même les grandes voies n'étaient pas pavées de bout en bout. Les constructeurs s'adaptèrent aux conditions géologiques, en utilisant des matériaux différents, les routes étaient pavées simplement dans les villes et leurs abords, en campagne simplement dans les passages difficiles. Le tracé était le plus possible droit, ou s'adaptait à mi-pente sur les coteaux et évitait les bas-fonds marécageux. Elle pouvait suivre les courbes de niveaux mais des liaisons pouvaient s'effectuer par des pentes brusques allant jusqu'à 15%. Ce pourcentage peut paraître important pour des véhicules modernes, mais si les pentes étaient régulières, elles étaient adaptées à la marche régulière des bœufs, chevaux ou mulets. A la mauvaise saison, ces rampes devenaient glissantes et dangereuses. Les voies franchissaient souvent les cours d'eau à gué.

Les bornes milliaires
Les bornes milliaires étaient des pierres généralement en forme de colonne portant une inscription et destinées à marquer les distances sur le tracé des principales voies romaines. Comme leur nom l'indique, les distances étaient mesurées en milles romains, soit environ 1,48km. Les bornes indiquaient en plus les distances à parcourir pour atteindre les villes les plus proches. Trois bornes milliaires ont été retrouvées en Savoie. La première se trouve à Chignin, portant le nom de l'empereur Dioclétien elle est daté de l'année 285, elle appartenait à la route Vienne-Milan. Une autre retrouvée à Sévrier près du hameau de Letraz à été érigé en hommage à Constantin sur la route allant d'Albertville à Genève, elle est datée entre l'année 307 à 310. La dernière sortie du lac et conservé à Veyrier dédié elle aussi à Constantin sur la voie qui conduit d'Albertville à Genève, elle est datée de 307 à 310.

Mansio et mutatio
Des mansiones et des mutationes étaient établies le long des voies. Tous les 10 à 15km ou pouvait se rafraîchir et se reposer dans une mutatio. Tous les 30 à 50km on trouvait une mansio, relais d'étape pour la nuit. Pour bien identifier ces relais, ils étaient souvent peints en rouge, comme le sont encore de nos jours en Italie les maisons de cantonniers qui les ont remplacées (de là vient le toponyme courant de "Maison-Rouge") et ils étaient établis à l'entrée ou à la sortie des villes.

Des auberges s'installaient à proximité de ces stations. Les romains imposaient aux gens du pays, traités presque en esclaves, d'effectuer les terrassements puis d'assurer le logement des troupes et la fourniture des chevaux aux relais. Les Civitas (provinces) possédaient des bureaux centraux ou l'on réunissait les dépêches pour les expédier à leurs destinataires.

Les mansiones étaient des bâtiments ou l'on pouvait relever les conducteurs, les voitures et les bêtes de trait, on y passait la nuit. A cette époque on ne voyageait pas de nuit. On y tenait toujours des chevaux pour le courrier et le service de l'empereur. Ils servaient d'étape pour les soldats, ou ils pouvaient s'approvisionner en vivres. Chaque mansio contenait des écuries, des granges pour le fourrage, des magasins pour le blé, l'avoine, la farine, la viande salées pour les soldats en campagne. Les mutationes étaient des bâtiments très inférieurs aux mansiones, ils étaient établis entre deux mansiones, ou les courriers changeaient de chevaux, et ou on y tenait des chariots de rechange. Ils étaient composés d'une écurie, une grange et d'un logement.

La sécurité
Les cols des Alpes pouvaient ils être traversés tout au long de l'année ? Sans doute que oui, le portage des dépêches ne pouvaient pas s'arrêter à l'hiver. De plus les tribus montagnardes Ceutrones et Medulli excellents passeurs devaient pouvoir faire passer des personnes par tous les temps. Le brigandage et l'insécurité sévissaient  sur ces routes et des fortins ou des postes de surveillance étaient installés le long avec un détachement de soldats auxiliaires.

Culte
Enfin, pour le réconfort spirituel et pour être mis sous la protection des dieux tutélaires, les voyageurs trouvaient régulièrement le long des voies romaines des lieux cultuels, temples ou fanum. Ils sollicitaient Mercure, dieu du commerce et des voyageurs, Diane, gardienne des routes ou des divinités locales. On y faisait ainsi des offrandes monétaires ou d'ex-votos, des sacrifices…
    
Les moyens de transports
L'attelage antique était basé sur le principe de la traction par la gorge. Quand le cheval entraînait le char le collier plaquait sur la gorge et gênait sa respiration. Si on ajoute à cela que les chevaux n'étaient pas ferrés, on comprend que le rendement était très faible. Le transport était limité à 500kg pour la pierre.
Par comparaison au XVème siècle, après de nombreux progrès dans l'art du transport de marchandise, pour tirer un bloc de marbre il fallait 24 bœufs, vitesse de déplacement 3 à 4km/h, pente maxi 9%.
On parcourait aussi ces voies à pied, en litière, sur une monture ou dans des véhicules à roues (cisium cabriolet léger à deux roues, rheda lourd chariot à quatre roues). Les étapes sont courtes, on parcourt de 30 à 40 km par jour. Le cisium postal, à deux roues, véhicule léger, attelé de trois chevaux arrive à parcourir plus de 100 km par jour.
  La nouvelle de la mort de Néron en 68, ne mis que 6 jours pour être connue en Espagne, soit 170km en moyenne par jour.
Ce que dit Végèce sur les étapes militaires romaines "Le conscrit romain était exercé à faire 20 miles (30km) en cinq heures d'été (1h20 des nôtres) au pas normal et 24 miles (35km) au pas accéléré, le tout avec une charge allant jusqu'à 60 livres et cela même en terrain montagneux".

Performances de déplacements notées dans des écrits de l'époque :
  • CESAR, avec une escorte: de Rome à  Arles  en  8 jours.
  • CESAR, avec son armée : de Rome en Espagne  en  27 jours.

Véhicules de l'époque :
  • cisium = voiture légère à deux roues, attelée d'un seul cheval.
  • rheda (ou raeda ) = voiture rapide à quatre roues.
  • carpentum = voiture bâchée, à quatre roues.
  • petoritum = voiture de voyage, suspendue, bâchée, tirée par quatre chevaux attelés de front.
  • carruca = voiture, carrosse.
  • carrus = chariot pour le transport des marchandises, avec un attelage de bœufs.
  • lectica = litière, transportée par deux ou quatre esclaves.

Cursus Publicus

Le cursus publicus est le service de poste impérial qui assurait les échanges officiels et administratifs au sein de l'Empire romain. Au début du IIIème siècle, l'empereur Septime Sévère étend l'activité du cursus publicus à l'acheminement de l'annone militaire, c'est-à-dire le ravitaillement des armées.
Le service des postes de l'Empire romain étant, avec l'armée, le principal bénéficiaire et utilisateur prioritaire de la voie romaine. Il utilisait bien sûr ces étapes pour l'acheminement rapide de messages et nouvelles dans l'ensemble de l'Empire. Le système fonctionnait si bien que les véhicules du cursus publicus pouvaient parcourir, dans des conditions favorables, jusqu'à 75 km par jour (à titre comparatif, le même service, en 1550, ne faisait quotidiennement que 45 km au maximum).
Char (bas relief de Vérone)

Biographie

  • Mémoire pour l'histoire naturelle de la province du Languedoc, 1737.
  • Recueil des itinéraires anciens comprenant l'itinéraire d'Antonin, la Table de Peutinger, De Fortia D'Urban, 1845.
  • Géographie de Strabon, Tardieu A, 1867.
  • Mémoire sur les voies romaines en Savoie, l'abbé Ducis, 1863.
  • Les Ceutrons pendant les temps préhistoriques et l'époque gallo-romaine, Borrel E.-L., 1905.
  • La Savoie antique, mémoires et documents de la société d'Histoire et d'Archéologie, Prieur J, 1977.
  • La Savoie gallo-romaine, mémoires et documents de la société d'Histoire et d'Archéologie, Barthélémy H, Mermet C, Rémy B, 1987.
  • La Savoie, carte archéologique de la Gaule, Rémy B, Ballet F, Ferber E, 1997.
  • La Haute-Savoie, carte archéologique de la Gaule, Bertrandy F,Chevrier M, Serralongue J, 1999.
  • Inscriptions Latines des Alpes I Alpes Graies, Rémy B, Bertrandy F, 1998.
  • Bornes milliaires et réseau routier dans la cité de Vienne sous l'empire romain, Bertrandy F, 2001.
  • Les Allobroges, gaulois et romains du Rhône aux Alpes, sous la direction de Jospin J-P, 2002.
  • Inscriptions Latines de Narbonnaise, tome 1 et 2, Rémy B, Bertrand F, Kayser F, Pelletier A, Wible F, 2004.
  • Les noms du patrimoine alpin, tome 1 et 2, Bessat H et Germi C, 2004.
  • Les Gaules (Provinces des Gaules et Germanies, Provinces Alpines), Ferdière A, 2005.

Notes

(1) Strabon, Géographie, livre IV chapitre VI Les peuples des Alpes. (2) C'est une reproduction, faite à la fin du XIIème siècle, d'une copie réalisée vers 350, dont l'original est encore plus ancien. Cette carte a été découverte au début du XVIe siècle, à Worms. Elle a été confiée à Konrad Peutinger, contemporain d'Érasme, qui la publia (d'où son nom). (3) Strabon, Géographie, livre IV chapitre VI Les peuples des Alpes. (4) Polybe livre III chapitre 49. (5) voir l'ouvrage sur les Allobroges "Les Allobroges, gaulois et romains du Rhône aux Alpes" (6) ''Ajoutons que les Arvernes, non contents d'avoir reculé les limites de leur territoire jusqu'à Narbonne et aux confins de la Massaliotide, étaient arrivés à dominer sur la Gaule entière, depuis le mont Pyréné jusqu'à l'Océan et au Rhin.'' Strabon, Géographie, livre IV chapitre II De l'Aquitaine à la vallée du Rhône. (7)Ammien Marcellin, Histoire de Rome, livre XV chapitre XII. (8) Strabon, Géographie, livre IV chapitre VI Les peuples des Alpes. (9) Strabon, Géographie, livre IV chapitre VI Les peuples des Alpes. (10) L'itinéraire d'Antonin est un guide de voyage de la Rome antique, qui recense les villes-étapes de l'Empire romain, et les distances les séparant. Il nous est connu par vingt manuscrits, qui vont du VIIème au XVème siècle. Il a été établit s'en doute au IIIème siècle. (11) Borrel, les Ceutrons pendant les temps préhistoriques et l'époque gallo-romaine, page 92.(12) Borrel, les Ceutrons pendant les temps préhistoriques et l'époque gallo-romaine, page 96-97. (13) CIL XII, 2343 :  Pro salute et incolum itate et victoria / Imp(eratoris) caes(aris) M(arci) Aureli Commodi Antonini Aug(usti), Pii, Sarm(atici), Germianici max(iini), Britannici / ...um  vii fluminis / ...aquis derivatis et transitu restituo (14) CIL XII, 107 : Imp(erator) Caes(ar) Lu(cius) / Aurelius Verus Aug(ustus), / trib(unicia) potest(ate) III, co(n)s(ul) II, / (vi)as per fines Ceutro-/(n)um vi torrentium / (ev)ersas, exclusis / (flu)minibus et inna(tu)-/(ra)lem alveum reduc(tis), / (mo)libus plurib(uslocis) / (opp)ositis ; item p(ontes) / (tem)pla et balin(ea), / pec(unia) sua, resti(tuit). (15) Borrel, les Ceutrons pendant les temps préhistoriques et l'époque gallo-romaine, page 85.

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